Transition écologique : Les courtiers d’assurance et réassureurs doivent prendre leur responsabilité et ne plus soutenir l’industrie fossile

Tribune parue dans LE MONDE (le 24 janvier 2023)

Il y a quelques jours, Greta Thunberg, Vanessa Nakate, Helena Gualinga et Luisa Neubauer, figures de proue du mouvement pour le climat, participaient à la réunion annuelle du Forum économique mondial (FEM) à Davos pour y demander l'arrêt des nouveaux projets de gaz, de pétrole et de charbon dont le très controversé oléoduc East African Crude Oil Pipeline (EACOP) développé par Total. Rappelant qu'il ne peut y avoir de coopération avec l'industrie fossile alors qu'elle sape toute action climatique significative depuis plus de 50 ans.

Le FEM dit reconnaître l'impérieuse nécessité de sortir d’une économie mondiale basée sur les combustibles fossiles. Mais une fois de trop, le débat sur le climat, comme lors des COP, est détourné par les entreprises fossiles présentes, incluant Total, ENGIE, BP, Shell, Chevron et Saudi Aramco. Dans ce contexte peu de choses peuvent changer.

Face à un tel blocage, d’autres secteurs de l’économie ont un rôle déterminant à jouer. C’est le cas de celui des assurances. Expert de la gestion de risque, il est l’un des rouages financiers ayant la capacité de stopper l’expansion des énergies fossiles, faciliter l’accélération de la transition énergétique tout en protégeant les communautés et veillant à ce que nous évitions les risques dévastateurs. Sans assurance et réassurance, la plupart des nouveaux projets de combustibles fossiles ne peuvent être mis en œuvre et les projets existants doivent être fermés. 

Depuis quelques années, l’industrie a commencé à donner raison aux demandes de la campagne Insure our Future que mènent plusieurs ONGs internationales et mouvements sociaux. Les principales compagnies d'assurance et de réassurance européennes ont commencé à restreindre leurs activités liées au pétrole, gaz et charbon. En 2022, 13 firmes ont restreint leur prise en charge du secteur du pétrole et du gaz, et 41 ont adopté des restrictions conséquentes à l’égard du charbon; rendant ces derniers  non assurables en dehors de la Chine. Bien que ces exclusions restent imparfaites, elles tranchent avec l’immobilisme ambiant et constituent un puissant levier d’action.

Fabrice Domange, président de Marsh France, une branche du plus grand courtier en assurance, publiait le 16 janvier dans le Monde son opinion sur l’interconnexion des crises et l’importance de l’action concertée pour lutter contre les inégalités et la crise climatique. Précisément, Marsh met en relation les promoteurs et les assureurs. Les courtiers d'assurance jouent un rôle essentiel (bien que souvent négligé) dans la réalisation des projets énergétiques. 

Marsh continue de soutenir massivement l'expansion des combustibles fossiles en dépit des critiques des communautés impactées par ces projets, des ONG, des scientifiques et même de certains de ses employés. À la découverte de l’impact climatique et des violations de droits humains liés à EACOP, plus de 100 employés de Marsh McLennan et de ses filiales ont écrit une lettre à la direction de l'entreprise pour demander à Marsh de se retirer du projet mentionnant: "Les clients nous feront-ils confiance pour assurer la gestion des risques climatiques s'ils savent que nous soutenons également des projets qui aggravent ces mêmes risques ?". Le plus long oléoduc chauffé au monde qui émettrait jusqu’à 34 millions de tonnes de CO2 par an et traverserait de nombreux écosystèmes protégés, des corridors fauniques, plus de 200 rivières et lac Victoria (dont 40 millions de personnes dépendent). La côte tanzanienne étant très vulnérable aux risques de tsunamis et de cyclones, les infrastructures pétrolières qui seront construites et les navires pétroliers qui viendront se charger en pétrole sont susceptibles de causer des marées noires en plein cœur d’une biodiversité exceptionnelle. À ce jour, Total n’a publié aucun plan de gestion des risques de fuites pétrolières. Il est estimé que plus de 12 000 ménages à travers l'Ouganda et la Tanzanie ont perdu ou vont perdre des terres à cause du projet EACOP et les paiements de compensation ont été critiqués comme étant inadéquats. Avant même le début de la construction, les défenseur·es des droits de l'homme, les dirigeant·es des communautés locales et les militant·es écologistes en Ouganda et en Tanzanie qui ont eu le courage de s'élever contre le projet ont fait l'objet de menaces et d'intimidations, y compris d'arrestations illégales.

Marsh fait également du courtage pour d'autres projets fossiles compromettant l'atteinte des objectifs de l'Accord de Paris et violant les droits humains: l’oléoduc de sables bitumineux TMX, des forages pétroliers et gaziers Rosebank, de la centrale au charbon de Banshkhali et de celle de Van Phong 1

Sous la pression, Marsh a récemment mis fin à ses activités de courtier d’assurance pour la mine de charbon d'Adani. Il est maintenant temps pour l’entreprise de se retirer du désastreux projet EACOP. 22 des plus grands (ré)assureurs mondiaux dont AXA, Allianz, Munich Re, Swiss RE et SCOR et 24 des plus grandes banques telles que BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, HSBC, Barclays, Deutsche Bank se sont engagés à ne pas soutenir EACOP. 

Butch Bacani - à la tête de la plus grande collaboration entre les Nations unies et le secteur des assurances que sont les Principes des Nations unies pour une assurance durable (PSI) - insistait durant le FEM sur la responsabilité spécifique des courtiers. En effet, contrairement aux compagnies d’assurance et de réassurance, les courtiers ont jusqu'à présent refusé de rejoindre l’Alliance Assurance Net-Zero (NZIA) et de prendre des engagements en matière climatique.

La préservation du vivant exige des actes. Si Marsh veut conserver sa crédibilité d’acteur économique clé agissant sur les crises et minorant les risques, il doit se retirer du courtage des projets d’énergies fossiles incluant EACOP.


Tribune par  Isabelle L’Héritier, Responsable de campagne pour Insure our Future

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